Les Enfants de Ta Mère : la marionnette comme théâtre de la société
Le
Créée fin 2017, « Les Enfants de Ta Mère » est une compagnie de création et de médiation pluridisciplinaire initiée par quatre fondatrices dont Anaïs Aubry, élève de la 12e promotion de l’Esnam. En écho à la journée internationale des droits des femmes, l’artiste a proposé le 25 février dernier, la première sortie de résidence de Fœtus Project au Forum. Interview.
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Anaïs Aubry, pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Anaïs, j’ai 26 ans, j’ai grandi dans le Loiret à proximité
d’Orléans. Après le bac j’ai fait hypokhâgne et khâgne à Orléans, puis deux
licences à la Sorbonne Nouvelle à Paris en Études Germaniques et en Médiation
Culturelle, avant d’intégrer l’Esnam en 2018. La marionnette a toujours été un
peu présente dans ma vie, de par les ateliers théâtre auxquels je participais
de mes 10 à 18 ans. C’est en classes préparatoires que je me suis intéressée à
l’Esnam, j’allais beaucoup au CDN d’Orléans, j’y ai vu des spectacles qui
n’utilisaient pas forcément des marionnettes, mais des procédés marionnettiques
appliqués aux acteurs et aux actrices.
Quel lien entretenez-vous avec la ville de
Charleville-Mézières ?
J’ai fait partie de la 12e promotion de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts
de la Marionnette entre 2018 et 2021, c’est là que je suis arrivée à
Charleville-Mézières. Après l’école j’ai gardé un pied-à-terre à Charleville,
j’y ai installé mon atelier. J’ai rencontré la 13e promotion. En 2022, nous
avons développé ensemble un projet avec la photographe franco-suisse Vanda
Spengler, autour des marionnettes en dehors des lieux de représentations
habituels. En avril 2023, avec le Festival Mondial, nous donnerons des ateliers
en milieu scolaire avec Fanny Sauzet, cofondatrice de la compagnie Les Enfants
de Ta Mère. Ces ateliers se font dans le cadre de son prochain spectacle
« Pourvu que ce soit une princesse », un conte queer pour enfants
mêlant danse, théâtre et marionnette, dans lequel je suis interprète et
constructrice. Quant à moi je porte un projet de mise en scène pour adultes, Fœtus Project, dont une partie de la création se déroule à
Charleville-Mézières.
Les enfants de ta mère est une jeune compagnie, depuis quand
est-elle en exercice et que propose-t-elle ?
La compagnie Les Enfants de Ta Mère a été créée en décembre 2017. C’est une
compagnie de création et de médiation pluridisciplinaire initiée par 4
co-fondatrices (Claude Grudé, Fanny Sauzet, Pauline Malaterre, et moi Anaïs).
Nous nous sommes rencontrées lors de nos études à la Sorbonne Nouvelle, nous
avions alors les mêmes envies de création et d’actions culturelles. Notre
collaboration se poursuit depuis déjà 6 ans. Au fil des années, chacune s’est
orientée vers des spécialisations qui nourrissent nos projets : la danse, la
mise en scène, la marionnette, le travail de la lumière, différents dispositifs
de médiation pour des publics variés (des tout-petits aux personnes âgées).
Vous êtes soutenue au titre de la recherche et
l’expérimentation dans le cadre des appels à projet de la Cité des Arts de la
Marionnette pour la création « Fœtus Project » autour du thème de la maternité,
pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ? Une date au Forum est d’ailleurs programmée…
Fœtus Project est un voyage au tréfonds de l’inconscient collectif, de nos
constructions sur la famille. Dans ce spectacle j’aimerais questionner «
comment cela devrait être » et « comment on aimerait que cela soit ». C’est mon
premier spectacle après mon solo de sortie d’école Purée, qui traitait déjà de
la famille, à travers la relation entre une sœur et son frère qui doivent
s’apprivoiser et apprendre à jouer ensemble, le tout autour de leurs assiettes
de purée. Dans Fœtus Project je suis toujours seule au plateau, mais le travail
se fait entouré d’une équipe qui met en œuvre son savoir-faire pour créer
ensemble ce spectacle : lumière, son, construction des marionnettes, mais aussi
des regards extérieurs pour me guider. Pour ce projet nous sommes soutenu.e.s
par la ville de Charleville-Mézières dans le cadre de la Cité des Arts de la
Marionnette, par le Festival Mondial des Théâtres de Marionnette, et également
par la Cie Arnica, implantée à Bourg-en-Bresse dans le cadre d’un compagnonnage
plateau du Ministère de la Culture. Nous nous sommes rencontrés lors du projet
de fin d’études de l’Esnam, qui était alors mis en scène par Emilie Flacher,
directrice artistique de la compagnie Arnica. Le 25 février aura lieu la toute
première sortie de résidence de ce projet. Nous avons déjà fait deux résidences
en 2022 : un labo de recherches au plateau au LEM à Nancy, et une semaine
d’écriture à Bourg-en-Bresse. La résidence à Charleville permettra de valider,
à l’aide de prototypes, les différents types de marionnettes à construire.
La femme, et plus particulièrement la mère, semble être au
cœur de vos créations. Que représente-t-elle ?
Où en sommes-nous du rapport entre féminité et maternité ? Très souvent, on a
l’impression que pour être une femme il faut être mère. Il y a une dichotomie
évidente entre les deux, et une pression mise sur les femmes, avec par exemple
les mythes de l’instinct maternel et de l’horloge biologique. J’ai commencé les
recherches pour ce projet en lisant les livres de Stéphanie Thomas et Orna
Donath sur le sentiment de regret de maternité (Stephanie Thomas, Mal de mères,
Orna Donath, Le regret d’être mère). L’expérience de la maternité est, dans le
discours général, une expérience épanouissante et merveilleuse, mais en
réalité, ce n’est pas le cas pour toutes les femmes. Ces autrices et
sociologues lèvent un tabou important, qui vise à désacraliser le statut de
mère, donner la parole aux histoires multiples, à celles que le costume de mère
gratte, ou pour qui la maternité n’est pas une évidence. Je travaille sur la
thématique de la famille car c’est à la fois l’endroit où nous sommes le plus
en confiance et le plus en vulnérable, c’est cette ambivalence qui nous rend
fragile qui m’intéresse. Parler du rapport à la maternité me permet d’aborder
plusieurs aspects qui impactent la famille : le rapport à son propre corps, à
celui des autres, au soin, à la patience, à l’héritage, qu’il soit génétique ou
social. Encore aujourd’hui on peut parfois oublier qu’une mère est aussi et
avant tout une femme.
Vous êtes issue de l’Esnam, quelle est la place de la
marionnette au sein de vos créations ? Vous allez d’ailleurs prochainement
travailler en collaboration avec le FabLab et L’Eisine pour la construction de
vos marionnettes, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
La marionnette est un outil pour raconter des histoires. Dans la compagnie nous
n’avons pas de spécialisation pour une technique particulière. Avec toujours
cette envie de mêler les arts dans nos différents projets et spectacles, nous
piochons dans notre boîte à outils. Dans Fœtus Project, la marionnette se
décline de la muppet, aux petits formats sur table, à une silhouette géante.
Dans Pourvu que ce soit une princesse, l’approche marionnettique
est mise en œuvre pour faire exister la magie de la sorcière, personnage
principal du spectacle. Le travail au FabLab se situe dans un chantier de
recherches pour Fœtus Project, nous cherchons la bonne matière et le bon
mouvement pour des marionnettes d’embryons inspirées de l’univers de David
Lynch. L’impression 3D permet une phase de prototypage moderne puis de
fabriquer en série, c’est un plus du point de vue économique, du gain de temps,
mais aussi écologique, car nous construisons par ajout de matière et non par
soustraction, comme dans les sculptures classiques de marionnettes en mousse
par exemple, on a donc moins de déchets.
Quand ou à quelles occasions le public carolomacérien
aura-t-il la chance de vous voir à Charleville-Mézières ?
Après la première sortie de résidence de Fœtus Project lors de la soirée La
Chute de l’Endomètre, co-organisée avec l’association SPM, qui promeut des
propositions artistiques expérimentales, engagées et inclusives, vous pourrez
nous retrouver pour une nouvelle étape de travail au Festival Mondial des
Théâtres de Marionnette en novembre 2023. La sortie du spectacle est prévue
pour février 2024, dans un an.
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